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COMMENT
S'Y PRENDRE
Enfin placés
dans un local bien éclairé, aménagé
par cloisonnage léger l'intérieur du hall de Meudon,
les sous-ensembles de l'Avion n° 3 s'offraient aux yeux étonnés
de tous les employés de l'atelier. Un de nos meilleurs
chefs d'équipe, M. Berthod, fut désigné
pour diriger les premiers travaux : dépoussiérage
le plus poussé possible, photographie sous tous les angles
des sous-ensembles avant tout démontage plus poussé
: douze ans plus tard, les clichés pris alors se révèleront
précieux pour contrôler l'état final.
On commence alors
à se faire une idée des dégâts et
des réparations à envisager. Les objets métalliques
- réservoirs, tuyauteries, cheminée, entrée
d'air, etc. - sont construits en métal de très
faible épaisseur quelques dixièmes de millimètres
! Ils ont mal résisté aux manipulations maladroites
depuis 75 ans. Les réservoirs sont bosselés et
parfois déchirés ; les tuyauteries de faible diamètre
sont écrasées par endroit ou coupées ; les
cloisons de cheminée - en aluminium - sont très
oxydées et les cratères de corrosion sont devenus
des trous. Tout cela va nous obliger à trouver des astuces
pour les réparations, et à créer des outillages
spécifiques. Cela ne va être ni simple, ni rapide...
Du moins pour
l'instant n'y a-t-il pas de mystères insondables. Ce sera
une autre affaire avec l'installation motrice à vapeur
avec les hélices et surtout avec la voilure.
Parallèlement à cette prise de connaissance de
l'appareil, je m'efforce de recenser toute la documentation technique
possible. Je vérifie que, malheureusement, rien n'existe
au CNAM, comme me l'avait déjà dit M. Dollfus.
Dans le fonds
Ader, acheté en 1937 par le Musée de l'Air, on
aura vite fait de découvrir les "cahiers d'atelier",
tenus au jour le jour par les contremaîtres d'Ader, en
cours de construction : ils seront notre aide essentielle tout
au long de la restauration, pour les réparations et la
compréhension des réglages.
![](../images/A3.BancMoteur.jpg)
Le
moteur gauche présenté à l'exposition Ader
l'aérien du Musée de l'Air.
Le moteur est monté en position, dans un bâti spécial
adapté au banc d'essai du CEPR ; en bout d'arbre, est
fixé le moulinet Renard destiné à freiner
le moteur pour en mesurer la puissance. C'est ce moteur qui a
été essayé au banc.
En revanche,
la reconstitution de la démarche intellectuelle d'Ader
restera très difficile, faute de toute explication claire
des raisons de ses choix. Seules les notes personnelles d'Ader
peuvent apporter quelques indications, si on les rapproche des
solutions finalement retenues sur l'Avion 3 lui-même. Mais
leur exploitation reste très difficile en raison des nombreuses
solutions étudiées, dont on n'est jamais tout à
fait sûr qu'il n'en existe pas une autre qui est disparue
; car il est évident que beaucoup de notes ont été
perdues. Enfin, le
peu de souci de rédaction (peu de ponctuation, peu de
majuscules en début de phrase, style elliptique, etc.),
l'écriture difficile à déchiffrer (généralement
au crayon), le jargon technique utilisé par Ader et créé
par lui (rien à voir avec les termes adoptés de
nos jours), tout cela rend la compréhension difficile
et laisse parfois place à l'interprétation.
Ainsi, après
dix années de multiples lectures de l'ensemble des notes
personnelles, il me semble avoir à peu près compris
les grandes lignes de sa démarche.
Cependant je
suis persuadé qu'il y a encore beaucoup de travail à
faire non seulement pour aller plus loin, mais même pour
confirmer quelques-uns des points principaux qui semblent aujourd'hui
les plus probables.
Mais si l'on
se reporte à l'époque des débuts de la restauration,
il faut comprendre que j'étais loin d'avoir tiré
de ces notes tout ce qu'elles contiennent.
Comme tous ceux
qui se livrent à cette lecture pour la première
fois (il s'agit de 3 000 pièces difficiles à comprendre
et contradictoires entre elles, je le rappelle...), on est vite
découragé et tenté de conclure qu'il n'y
a rien à en tirer comme l'ont fait jusqu'ici tous les
historiens, à commencer par Ch. Dollfus.
Tout au long
de la restauration nous avons été amenés
à nous poser des questions sur la raison des procédés
utilisés par Ader pour construire son avion. En fait,
nous nous sommes instruits en même temps que nous avancions
dans les opérations d'étude et de restauration,
menées simultanément, par la force des choses.
Pendant que tous
ces préparatifs se développaient, je m'efforçais
de préciser un plan d'action. Il m'est apparu très
vite qu'il était prioritaire de privilégier l'étude
de l'appareil par rapport à la simple remise en état
de l'Avion n° 3.
Avant même
de chercher à établir la réalité
des vols d'Ader sur la seule base de l'étude de documents
- ce qui est la démarche historique classique - il me
paraissait primordial de vérifier si l'Avion n° 3
avait une réelle possibilité de voler. Or jusqu'à
ce jour, on n'était sûr de rien pour cet avion,
même pour les données les plus élémentaires,
comme la surface de l'aile, la puissance des moteurs, le rendement
de l'hélice, etc.
Aujourd'hui,
nous connaissons sans équivoque les formules de la mécanique
du vol concernant l'aéroplane; il ne manque plus que les
valeurs numériques à y introduire pour conclure
enfin de façon assurée. Il est clair que si, par
exemple, la puissance motrice mesurée et la traction d'hélice
se révélaient, après avoir été
mesurées, nettement insuffisantes, la polémique
n'aurait plus de raison d'être: l'avion n'aurait pas volé
puisqu'il ne le pouvait pas. Du coup toute nouvelle recherche
historique serait devenue sans intérêt.
Banc moteur gauche |