Ouadi-Doum 3

Une 2ème frappe "chirurgicale"

Missile parti : "Bingo !"

        A bord de l’Atlantic, Jean-Marie P. fait des aller et retour entre la cabine de pilotage, la bulle de l’observateur avant et la table du "Tacot" (chef tactique de l’avion) Il est 12h50, l’heure de la frappe approche. Le chemin parcouru par les deux patrouilles est reporté au crayon sur la table traçante : deux lignes parallèles espacées de plus de 100 nautiques (185 km) et orientées sud nord. Les Mirage F1 CR, qui suivent le trait d’ouest, ont encore un peu d’avance, mais les Jaguar, qui vont plus vite à ce stade de la mission, grignotent du terrain. Les deux pilotes du "Belfort" viennent d’atteindre le point de virage, au nord-ouest de Faya-Largeau. L’altitude moyenne de vol est de 300 pieds (environ 100m) et leur vitesse de 450 nœuds ou Kts (environ 850 km/h) A 12h51, les deux avions prennent leur cap d’attaque en virant de 90° par la droite et grimpent à 6000 pieds (~2000m)

        Comme prévu, les détecteurs d’alerte radar annoncent aux pilotes qu’ils ont été accrochés par le "Flat Face" de Faya-Largeau. L’alerte doit avoir été donnée, notamment à Ouadi-Doum. Aucun mot n’a été échangé entre Claude et Yvon depuis le décollage.

        Le paysage est superbe, mais les deux pilotes n’ont guère le loisir d’en apprécier la beauté. Pourtant, à 50km au nord, l’Emi Koussi, un gros volcan qui culmine à 3415m, émerge de la brume de chaleur dissimulant les reliefs du Tibesti. Le Borkou présente une variété de paysages inhabituels : désert de rochers noyés dans une immensité sablonneuse. Peu de pilotes ont eu, jusqu’à ce début d’année 1987, le privilège de survoler cette région située au nord du Tchad, hormis les équipages du COTAM.

        A bord du Bréguet, les spécialistes des écoutes se régalent. Le radar "Flat Face" de Ouadi-Doum s’est mis en émission continue, les fréquences radio entre Faya et Ouadi-Doum sont en ébullition, l’adversaire s’affole (7). Pendant ce temps, les Jaguar approchent de l’objectif à une vitesse de 500 Kts (950 km/h), à 200 pieds (60 m) sol. Ils sont à 50 nautiques (~92 km) de l’objectif. Thierry et Guy, de front à 2 km l’un de l’autre, sont les premiers à entrer dans le domaine de leurs Martel. Tout est testé, les missiles sont activés et les aiguilles balaient la plage des cadrans à la recherche d’une émission radar. Plus que quelques secondes avant le verdict.

        Un calme presque irréel règne sur cette étendue de sable et de rocaille. Pas un son à la radio, pas une oasis… pas un avion ennemi. Le calculateur de Guy indique 35 nautiques lorsque l’autodirecteur émet un signal strident. La tension monte. Après un lever de doute rapide, Guy s’aperçoit que le dépointage de 10° en azimut ne peut pas correspondre à la cible. Est-ce un radar leurre ? Pas le temps de réfléchir. On agit en professionnel. L’entraînement quotidien doit faire ses preuves… Il grimpe à une altitude de 300 pieds afin de faciliter l’accrochage, mais le volume de détection du premier site de SA-6 est très proche. Pas question donc de monter plus haut.
        Cà y est, le son reprend, la bonne fréquence s’inscrit dans le cadre et l’aiguille s’immobilise à "midi". Le témoin vert confirme le domaine de tir lorsque Thierry, apparemment moins chanceux, entame un virage de 180° dont la trajectoire coupe celle de Guy. Ce n’est que lorsque Thierry a disparu de sa glace frontale que Guy autorise le tir. Après une fraction de seconde qui paraît interminable, le missile quitte sa poutre avec un bruit sourd. Guy ressent d’abord le gain de poids, puis voit apparaître l’engin sous le nez de l’avion, majestueux, accroché à sa fusée d’accélération. Il le suit des yeux un bref instant avant de dégager vers le sud, de toute la puissance de ses deux moteurs, à une altitude inavouable. Il est tout juste 13 heures.

        Derrière Thierry et Guy, Jean-Paul et Patrick ont eu moins de chance et ont fait demi-tour, non sans avoir agacé les "Straight Flush" des systèmes d’acquisition des SA-6. Au même moment, à 60 km au nord-ouest, les deux pilotes de Mirage F1 CR ont plongé vers une altitude de 150 pieds afin de disparaître des scopes de Ouadi-Doum et de Faya.
        Ils ont commencé à virer vers le sud-ouest lorsqu’ils entendent le mot de code lancé par Guy, annonçant le tir de son missile. C’est la première fois que le silence radio est rompu depuis le début de la mission. Le commandant Yvon G. et le lieutenant Claude D. restent malgré tout concentrés, car la "ligne rouge" est encore loin.

        A une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Faya-Largeau, Claude rompt le silence une seconde fois : "BF 10 h - 9 h - 8 h", le BF étant un détecteur équipant les Mirage F1 et signalant au pilote qu’il est illuminé par un radar. Aucun ordre n’est nécessaire. Les deux pilotes poussent simultanément sur le manche et mettent plein gaz… Les cheminées de fée sont contournées comme le feraient deux skieurs dans une épreuve de slalom parallèle. Le point de montée calculé lors de la préparation est atteint, mais il n’est pas question, bien sûr, de "grimper", car la conduite de tir qui a détecté les deux avions doit s’appliquer à les retrouver afin de leur expédier un missile ou une volée d’obus de 23 mm.

Retour au bercail

        La vitesse et l’altitude sont maintenues pendant encore 200 km (8). Il faudra se ravitailler en carburant pour pouvoir rentrer, ce qui n’aurait pas été nécessaire si tout s’était passé comme prévu. Le 17ème parallèle nord est franchi. La concentration des pilotes demeure toujours très grande, mais la tension nerveuse est un peu tombée. Les deux appareils commencent leur montée pour atteindre l’altitude de 15000 pieds. Le leader de la patrouille appelle le PC volant afin d’être guidé vers le ravitailleur le plus proche. Ça y est ! L’écho radar d’une des quatre "nounous" apparaît sur l’écran du Cyrano IV MR (radar du F1 CR): 20 NM, 15 NM, 10 NM. Claude annonce le visuel.
        Il était temps ! Quand les avions passent la "ligne rouge", le kérosène qui leur reste correspond à celui qu’ils auraient dû avoir à leur atterrissage à N’Djamena, éloigné de 300 nautiques (555km)! Le leader manque son premier contact avec le réceptacle de ravitaillement
(9). Le premier "enquillage" s’est révélé trop brutal, l’avion étant beaucoup plus léger que lors du ravitaillement effectué à midi. Claude reste calme sur la perche (position d’attente dans laquelle se place un chasseur avant de se ravitailler). Le plein d’Yvon est terminé. Claude peut y aller à présent. Tout se passe bien pour lui. Les deux pilotes respirent…

        Ils reprennent alors leur route vers N’Djamena à l’altitude de 30000 pieds. Il fait chaud dans les habitacles, mais la sueur qui ruisselle dans leur dos les refroidit un peu. Les Mirage F1 C et les Jaguar viennent de se poser quand les deux pilotes du 1/33 se présentent en finale, presque trois heures après le décollage.

        La piste est dégagée et, pendant le retour au parking, chacun regarde le Jaguar A 100 de Guy W. dont le missile AS 37 n’est plus accroché sous le ventre. Les serveurs des bitubes de 20 mm exultent lorsqu’ils aperçoivent l’avion. C’est réellement la joie sur la base.
        Le COMELEF et tout son état-major nous accueillent au pied de l’avion avec une flûte de champagne bien méritée. La mission est un succès total. Plus tard dans la soirée, Yvon et Claude apprendront par les marins de l’Atlantic qu’ils ont été poursuivis par un chasseur libyen sur une distance de 100 km. Mais celui-ci n’a pas pu rattraper deux F1 CR filant à 570 Kts (environ 1000 km/h) et à 100 pieds sol (30m) ! Sueur froide rétrospective tout de même…

Yvon GOUTX


(7) : J’ai écouté la fréquence de la Tour de Ouadi Doum quelques minutes avant le tir, et bien que n’ayant pas encore appris l’arabe, j’ai bien compris, au débit, que les Libyens s’affolaient.
(8) : A cette vitesse et cette altitude le F1 consomme environ 55 litres/minute
(9) : Les mécaniciens m’ont "offert" le "gland" qui était légèrement tordu.

    


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 Dernière mise à jour 12-2005