Ouadi-Doum

Une 2ème frappe "chirurgicale"

7 janvier 1987

    Depuis l’indépendance du pays, en 1960, et peu après le début de la présidence de François Tombalbaye, en 1962, le Tchad est embrasé régulièrement par des luttes de clans soutenus plus ou moins ouvertement par la Libye du colonel Kadhafi qui veut faire passer ce voisin sous sa coupe. Pour mettre un frein aux visions expansionnistes du leader libyen, la France fut contrainte d’intervenir à plusieurs reprises (Opérations Tacaud, Manta et Epervier, laquelle est encore aujourd’hui d’actualité)
    L’armée de l’air lança notamment deux raids sur l’aérodrome de Ouadi-Doum, à 11 mois d’intervalle (16 février 1986 et 7 janvier 1987)

    La lutte pour le pouvoir au Tchad avait commencé dès le début des années soixante, époque où ce pays grand comme deux fois la France, en grande partie désertique, avait accédé à l’indépendance. La France, à la demande des autorités au pouvoir à N’Djamena, était intervenue très tôt (1968) dans le conflit à la fois ethnique, clanique et politique opposant le président Tombalbaye au Front de libération nationale du Tchad, le Frolinat.
    Les premiers aéronefs français s’étaient posés sur le territoire tchadien en août 1968. Ils avaient à peine quitté le pays qu’en 1973 la Libye s’immisçait dans le conflit, soutenant d’autant mieux les rebelles d’Hissène Habré qu’elle avait des visées expansionnistes sur le Tchad.

    De rebondissement en rebondissement, la crise dégénéra à un point tel que la France, en dépit de la répugnance qu’elle éprouvait à s’engager dans une nouvelle intervention, fut contrainte de le faire, dès la fin de l’année 1977, en déclenchant l’opération "Tacaud"

De Manta (83-84) à Epervier (86-en cours)

    Le déploiement de quelques Jaguar A depuis Dakar n’empêcha pas le Président Maloum, successeur de Tombalbaye, d’être renversé par deux hommes qui allaient vite devenir des frères ennemis : Hissène Habré et Goukouni Oueddei. Ce dernier, soutenu par le colonel Kadhafi, entra en lutte ouverte contre Habré et s’empara de N’Djamena, mais il en fut chassé en juin 1982. Un an plus tard, Goukouni Oueddei, toujours épaulé par les Libyens, repartit à la conquête du pays et s’empara de l’oasis de Faya-Largeau, une position stratégique essentielle dans le Borkou, au nord du pays.
Le Tchad reçut aussitôt l’aide du Zaïre, qui y expédia quelques soldats et avions, ainsi que celle, en août 1983, de la France. Engageant sur place, dans
le cadre de l’opération "Manta", des
Jaguar, des Mirage F1 C, un C135F et un Atlantic, les autorités françaises déterminèrent une ligne dite "rouge" que les Libyens et leurs alliés ne pourraient pas franchir sans amener une intervention automatique.

     Le 25 janvier 1984, à l’occasion d’un accrochage avec une colonne ayant fait prisonniers des médecins belges de MSF, le Capitaine Michel Croci
(1), de l’Escadron de Chasse 4/11 "Jura" de Bordeaux Mérignac, était abattu par un canon de 23 mm libyen.

    Après le décès du Capitaine Croci, le Président Mitterrand décidait de "remonter la ligne rouge" du 15° parallèle nord au 16°N. Puis, quelques mois plus tard, en septembre de la même année, les deux parties en présence conclurent un accord prévoyant le retrait de leurs forces respectives. Dès lors, les Français retirèrent une partie de leurs éléments, mais des reconnaissances menées par un Mirage IV A révélèrent bientôt que les Libyens procédaient à l’édification d’un aérodrome à Ouadi-Doum, à 150 km au nord-est de Faya-Largeau.

    L’armée de l’air reçut l’ordre d’attaquer ce terrain, dont la longueur atteignait 3800 m, et qui représentait une menace inacceptable pour N’Djamena. Le raid mené par 11 Jaguar (2) le 16 février 1986 constituait non seulement une entreprise à caractère militaire, mais aussi une action politique par laquelle la France voulait montrer à Kadhafi qu’elle ne tolérerait pas une nouvelle tentative sur N’Djamena. L’attaque conduite par les pilotes de l’EC 1/11 "Roussillon" (3) fut une complète réussite, malgré les réserves de la presse à l’époque. Utilisant des bombes anti-pistes BAP 100 et des bombes classiques de 250 kg, les Jaguar, partis de Bangui, en République centrafricaine, endommagèrent gravement la piste libyenne.


     Kadhafi ne tarda guère à réagir, puisque le lendemain, 17 février, un
Tupolev Tu 22, bombardier triplace de fabrication soviétique, largua trois bombes, heureusement sans dommages, sur l’aéroport de N’Djamena. Mais l’escalade que tout le monde redoutait ne vint pas, le dispositif "Epervier" (4) qui débutait sa montée en puissance, jouant parfaitement son rôle dissuasif

     Cependant, les Libyens ne renonçaient pas à leurs visées sur le Tchad. Le 14 novembre 1986, ils s’emparèrent de Fada, située à 250km à l’est de Faya-Largeau, dans l’Ennedi. Hissène Habré, toujours au pouvoir, répondit en lançant une offensive de grande envergure vers le nord du 16°N, occupé par Goukouni Oueddei et ses alliés libyens. Partie le 2 janvier 1987, l’attaque gouvernementale submergea Fada le même jour, au prix de nombreux blessés Goranes de l’ethnie d’Habré.

    En représailles, l’aviation libyenne bombarda les positions françaises de Biltine, Oum-Chalouba et Arada, au sud de la ligne "rouge" occupées par des légionnaires et des marsouins.

    Craignant pour la sécurité des avions entassés sur un petit parking au sud du terrain de N’Djamena, en raison de grands travaux lancés à l’automne 86, le colonel Yves J., commandant les éléments de l’opération "Epervier" (COMELEF), décida de les disperser. Ainsi, une douzaine de Jaguar de la 11ème escadre de chasse furent déployés à Libreville, au Gabon, tandis que deux Mirage F1 CR (le 620 33-CJ du 1/33 et le 632 33-NM du 2/33) de la 33ème escadre de reconnaissance rejoignaient, à Bangui, en Centrafrique, les quatre Jaguar de l’escadron de chasse 3/3 "Ardennes". Quatre C135F des FAS étaient répartis entre Libreville et Bangui. Seuls huit Mirage F1 C des 5ème,12ème , et 30ème escadres de chasse, un Bréguet Atlantic de l’Aéronavale et quelques C160 Transall demeurèrent au Tchad.

     Le hasard des relèves des détachements faisait que les pilotes "chasseurs bombardiers" des Jaguar de Libreville étaient ceux de l’EC 1/11 "Roussillon" de Toul qui, pour certains, avaient participé à la mission du 16/2/86, les pilotes des Mirage F1-CR "reco" étaient ceux de l’ER 1/33 "Belfort" de Strasbourg, et les pilotes de Mirage F1 C, ceux de l’EC 3/12 "Cambrésis" de Cambrai.

    Ne pouvant laisser impunie l’intervention de l’aviation libyenne, Paris ordonna une nouvelle frappe chirurgicale sur l’aérodrome de Ouadi-Doum. Cette fois, il s’agissait de détruire les radars qui assuraient la sécurité de la base libyenne, toujours menaçante et très renforcée depuis le raid de début 86 !

Un coup pour rien

       La nuit est déjà tombée lorsque les deux Mirage F1 CR se posent à Bangui-M’Poko, en ce 5 janvier. Toutefois, la salle d’OPS de l’escadron de chasse 3/3 "Ardennes" de Nancy-Ochey est en pleine effervescence.
La frappe chirurgicale, c’est leur job avec leurs missiles Martel. Les quatre pilotes choisis pour la mission du lendemain n’ont pu profiter de leur dimanche. Depuis que l’ordre est tombé de l’Elysée, ils s’affairent sur leurs cartes, effacent, retracent, calculent le pétrole nécessaire, celui qu’ils demanderont aux ravitailleurs. Ils révisent les performances des radars qu’ils doivent attaquer, des avions qui pourraient les intercepter.

       Tout est réglé, ils peuvent aller se coucher. Ils sont, comme les autres pilotes, arrivés sur le théâtre une semaine et demi plus tôt, entre les fêtes de fin 1986 ! Ce n’est pas la première fois que Guy W., Jean-Paul S. et Patrick G. viennent en Afrique. En revanche, le chef de détachement, le commandant Thierry L., vient d’être affecté au 3/3, sur Jaguar, après avoir volé quelques années durant sur Mirage 3 E à la 4ème escadre de chasse de Luxeuil.
        L’Afrique, il ne connaît pas ; le Jaguar, il vole dessus depuis l’automne précédent et en a qu’une centaine d’heures à peine. Mais il est le chef, il sera en tête de la formation d’attaque. Une multitude d’images se télescopent dans son esprit. Comme ses camarades, il n’arrive pas à trouver le sommeil. L’angoisse, la peur ?
        L’appréhension de mal faire, plutôt ! La nuit se déroule très vite. Endormis vers 2 heures, les pilotes se lèvent à 3. Surprise en ouvrant les volets de la chambre : l’Oubangui et la capitale sont noyés dans un épais brouillard. On n’y voit pas à 100m. Mais il faut quand même y aller. Le stress bloque les tripes jusqu’au moment de la mise en route du premier moteur. Alors le professionnalisme reprend le dessus.

       …Guy W. est contraint, la mort dans l’âme, de rester au sol. Son missile s’est révélé défectueux lors des tests après la mise en marche des moteurs.
Il regarde ses trois camarades s’enfoncer dans le brouillard de M’Poko et descend de son avion, le A 100, moite de transpiration. Il est 4h30 du matin et il fait déjà 28°C. Du merlon où il s’est perché, Guy W. aperçoit les dards des post-combustions se casser sur la piste en déchirant le brouillard. Thierry, qui a lâché les freins trente secondes avant Jean-Paul, essaie de conserver l’avion sur son axe en se basant sur les balises qui bordent la piste.

       Les ravitaillements avec le C135F se passent comme prévu, dans un silence radio total. Jean-Paul ressent un petit pincement au cœur quand il s’éloigne du ravitailleur et franchit le 16° parallèle. Les trois Jaguar survolent à présent le territoire ennemi. Thierry disparaît devant Jean-Paul et Patrick, qui le suivent à trois minutes. Ils ont décollé depuis plus d’une heure et le jour s’est levé. Ici, la visibilité est infinie et les paysages de l’Ennedi sont superbes. Comme ils approchent de l’objectif, les trois pilotes sont concentrés à l’extrême….

        …La mission du lundi 6 janvier n’aboutira pas. Les radars libyens n’émettaient pas. Pour que les missiles AS37 Martel utilisés à cette occasion remplissent leur office, il aurait fallu que les appareillages électromagnétiques déployés par l’adversaire à Ouadi-Doum eussent été mis en marche. De cette façon, les missiles auraient détecté leur rayonnement et se seraient dirigés vers la source. Les trois Jaguar gagnèrent donc N’Djamena, où ils se posèrent au terme d’un vol de 3h25mn.

        Pour contraindre les Libyens à faire fonctionner leurs radars, l’état-major des armées (5) décida de lancer par l’ouest une patrouille offensive de Mirage F1 CR que le radar avancé de Faya-Largeau, véritable sonnette d’alarme de Ouadi-Doum, détecterait à coup sûr. Dans la journée du 6, tous les avions de combat furent rassemblés à N’Djamena, les ravitailleurs restant basés, quant à eux, à Libreville et Bangui.

(1) : J’étais commandant d’escadrille au 4/11 avec lui de début 79 à septembre 81
(2) : Un Jaguar est "tombé en panne" à la mise en route
(3) : Le leader était le Cdt Alban de TELLIER (AD71) qui était commandant de l'EC 1/11 à cette époque.
(4) : Le premier "COMELEF" du dispositif a été le Colonel Hector PISSOCHET (AR60)
(5) : Le CEMA était le Général d’Armée aérienne Jean SAULNIER (AD49)

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 Dernière mise à jour 12-2005